Apprendre de ses échecs et rebondir: Le cas de Metallica
Alberic Tellier et Émilie Ruiz, dans Nouvelles Vibrations (2021)
Nouvelles Vibrations (par Albéric Tellier) propose de revenir sur 20 défis clés en matière d’innovation en analysant la création de disques qui ont marqué leur époque. En s’appuyant sur St. Anger, 8ème album studio de Metallica, groupe emblématique de Trash Metal, Émilie Ruiz s’intéresse aux échecs et à la manière de les surmonter.
En 2003, après plus de quatre ans d’attente que les fans se ruent sur St. Anger, le nouvel album de Metallica. Cela fait plus de deux ans que le groupe évoque l’enregistrement d’un disque qui est supposé marquer un « retour aux sources innovant ». Comme le groupe n’a pas sorti d’album original depuis plusieurs années, ce nouveau disque est attendu de pied ferme par le public et la critique. La durée excessive du projet ne fait qu’amplifier l’attente : l’enregistrement de St. Anger, censé durer 3 semaines, commence en avril 2001, mais l’album n’est finalement commercialisé qu’en juin 2003 !
St. Anger se classe n°1 dans 30 pays la première semaine de sa sortie mais les ventes s’essoufflent très rapidement. Aujourd’hui, l’album est d’ailleurs considéré comme l’échec notoire du groupe, avec « seulement » 6 millions d’albums vendus dans le monde depuis sa sortie. Il sera en effet très rapidement boudé par les fans et la critique. La presse spécialisée qualifiera d’ailleurs, dans le meilleur des cas, St. Anger comme « l’album le plus controversé » du groupe. James Hetfield (chanteur et membre fondateur de Metallica) lui-même le considère comme un échec.
Avec le recul, il s’avère finalement que l’échec de ce projet s’explique principalement par des tensions entre les membres. Mais ce qui est intéressant c’est que cet échec a contribué à renforcer les liens entre les musiciens qui, ont finalement su tirer les leçons de cet album pour rebondir et sortir de nouveaux succès.
L’échec est un phénomène courant en matière d’innovation, quelle que soit la nature de cette dernière. Paradoxalement, l’échec peut être, d’un certain point de vue, positif parce qu’il permet de détecter tout un ensemble de points faibles, de problèmes, de dysfonctionnements au sein de l’entreprise, et qu’il fournit ainsi l’occasion d’y remédier. Mais cela suppose d’apprendre de ses échecs, ce qui n’est pas un exercice aisé ! Il faut accepter de parler de l’échec pour en tirer des leçons, comprendre ce qui a poussé les acteurs à persévérer dans la mauvaise direction, reconnaitre ses erreurs, prendre ses responsabilités et mettre en place les moyens adaptés pour rebondir.
Émilie Ruiz s’appuie donc sur la manière dont le Metallica a su rebondir face à cet échec qui après avoir suscité beaucoup d’attente, a déçu un public. Tout d’abord, ce cas permet de comprendre ce qui pousse les acteurs à persévérer en situation d’échec. Ensuite, il souligne l’importance de la reconnaissance d’un « droit à l’erreur », souvent occulté dans les organisations. Enfin, le cas met en avant le rôle des émotions dans le processus d’apprentissage suite à un échec.
Sur le premier point, le cas de Metallica confirme ce que Isabelle Royer dans ces travaux de recherche appel l’escalade de l’engagement qui traduit l’obstination des acteurs dans un projet, alors que les retours d’information sont négatifs et que la réalisation de l’objectif parait de plus en plus incertaine. La perspective d’une tournée importante et lucrative a motivé les acteurs à s’impliquer, le management du groupe ne voulait pas perdre l’investissement engagé dans le projet, même après avoir perçue les difficultés et les tensions pour produire l’album le groupe ne voulait pas décevoir des fans très exigeant a qui ont avait promis la sortie d’un album et la perspective d’une tournée future. Et l’ensemble de ces éléments a entrainé le groupe a persévérer malgré la perspective de plus en plus grande d’un échec a venir.
Deuxièmement, à la question du droit à l’erreur qui permet de sortir de cette tension, le chapitre montre comme l’exprime Julien Cusin que pour apprendre de ses échecs, ces derniers doivent être acceptés, analysés, voire célébrés. Même si cest un exercice difficile, on peut sortir grandi de son échec à travers les apprentissages et l’expérience que l’on y développe. Pour le groupe Metallica, ces apprentissages ont pris la forme d’un retour les solos de guitare (absent de St. Ager), en revenant à un son de caisse claire plus habituel et à une identité musicale plus conforme aux attentes des fans.
Enfin, la gestion des émotions résultant des échecs, en tenant compte du nécessaire rapport individuel / collectif est crucial pour favoriser cette démarche réflexive et être capable de dépasser l’échec. Pour trouver un équilibre entre les volontés et aspirations individuelles et les compromis collectifs, il est nécessaire que le processus d’apprentissage de l’échec soit doublé d’un processus de négociation entre les membres de l’organisation. Ce double niveau d’analyse individuel / collectif est observable dans le cadre de St. Anger. Pour faire face à cette difficulté, chaque membre du groupe aura eu besoin de gérer ses émotions de façon individuelle avant de pouvoir envisager une évolution collective. Hetfield partira ainsi en cure de désintoxication, Hammett se concentrera sur sa passion pour le surf, et Ulrich sur l’art.
En conclusion, si rebondir après un échec est un exercice difficile pour bon nombre d’organisations, le cas de Metallica illustre trois éléments majeurs pour comprendre comment y parvenir. Le processus d’apprentissage est influencé par (1) l’engagement des acteurs dans le projet, amenés à ne pas abandonner en cours de route, (2) leur acceptation de l’échec, et (3) la gestion de leurs émotions, en tenant compte du nécessaire rapport individuel / collectif.