L'équipement créatif
L’équipement créatif consiste à « équiper » les individus et les équipes pour favoriser les comportements créatifs sur le lieu de travail. C’est une des composantes la plus importante des capacités créatives d’une organisation. Il s’agit de fournir des événements, méthodes, des outils, des artefacts et d’autres techniques organisationnelles pour accomplir les actes créatifs. Cela implique également de former le personnel aux méthodes de conception et de créativité, afin qu’il puisse s’approprier les techniques créatives et prendre l’initiative d’organiser des sessions de créativité si nécessaire. En définitive l’équipement prend principalement deux modalités : l’équipement cognitif et l’équipement matériel.
Les événements
La génération d’idées peut se faire au jour le jour dans les équipes pour résoudre des problèmes ou exploiter des opportunités. Toutefois elle a souvent besoin d’événements pour pousser les collaborateurs à travailler sur un défi en particulier ou sur leur défi. Ces événements permettent de dédier du temps à une activité créative et de focaliser l’attention sur un ou plusieurs défis. De plus, ces événements permettent aussi de mettre en visibilité les nouvelles idées et d’inspirer les individus et les équipes pour en trouver de nouvelles. Les événements d’équipements créatifs peuvent être des événements qui reviennent régulièrement comme par exemple un challenge annuel d’innovation ou un concours d’idées de nouveaux produits, ou l’organisation d’activités créatives lors de rencontre annuelle. Chez BNP Paribas Cardif, il organise chaque année un concours d’innovation avec remise du prix de l’innovation. Ce concours ne dédit pas un temps particulier à la génération d’idées mais il met en visibilité toutes les innovations managériales, processuelles ou de services qui ont été mis en place dans l’organisation. Cependant ces événements peuvent être aussi ponctuels comme l’organisation de sessions créatives pour travailler sur un défi d’importance ou des hackathons pour développer des prototypes de solutions innovantes en général sur une période de deux jours. Chez Bosch Rexroth, ils ont organisé une journée de session créative avec des participants issus de tous les services pour réfléchir sur la numérisation de leur usine et trouver des idées de numérisation de leur processus de travail et de production.
Équipement cognitif
La formation des employés aux méthodes de conception et de créativité stimule la créativité des individus et des équipes. Il s’agit de développer leurs compétences créatives pour augmenter leurs capacités à travailler sur des problèmes ou des situations mal définies avec une part d’inconnu très forte et à faire preuve de créativité.
Au niveau individuel, les recherches ont montré que la formation à la conception et à la créativité à des effets multiples : amélioration de la pensée divergente, renforcement du sentiment d’auto-efficacité créative, augmentation des capacités de résolution de problème. La formation dote les individus de nouvelles compétences cognitives, mais aussi de nouvelles heuristiques et stratégies pour faire preuve de comportements créatifs.
Au niveau collectif, l’équipement cognitif à des effets sur multiples. Par exemple la formation au brainstorming augmente la capacité des équipes à générer des idées originales et variées, en quantité et variées. La formation au design Thinking augmente la capacité des équipes à donner du sens et à saisir de nouvelles opportunités, renforçant ainsi leur volonté d’explorer des territoires inconnus. Au final la formation aux méthodes de conception et de création permet de mieux identifier les problèmes et les lacunes dans les connaissances, de donner du sens aux nouvelles idées et améliore la capacité à travailler pour démarches d’exploration et avec d’autres équipes internes ou externes.
Pour équiper cognitivement les équipes et les individus en compétences créatives, on propose la formation à trois grandes méthodes mobilisées par les gestionnaires : la théorie C-K, le CPS et le design thinking.
Le Creative Problem Solving (CPS
Le CPS est une méthode de résolution de problème pour trouver une solution originale à problème donné. La méthode est organisée en trois phases : une phase de clarification pour sélectionner et clairement identifier le problème, une phase de transformation pour stimuler la génération d’idées et aboutir à une solution originale adaptée à la situation, et une dernière phase d’implémentation pour définir les conditions de développement de la solution. Cette méthode prend en compte les rôles clefs du client (le détenteur du problème), du groupe ressource (celui qui travaille à résoudre le problème) et de l’animateur (gestionnaire du processus et du bon choix des outils). Elle crée les conditions pour que développer la confiance créative du groupe dans un climat de sécurité pour reconnaître l’existence du problème et les changements nécessaires.
Cette méthode est par exemple utilisée régulièrement dans la banque-assurance BNP Paribas Cardif pour trouver des solutions à des problèmes locaux.
Le design Thinking
Le design Thinking est une méthode de conception orientée utilisateur. Le design Thinking place l’utilisateur au centre du processus pour définir des solutions qui répondent aux besoins et problèmes que rencontrent réellement les futurs clients. Elle propose des outils pour bien comprendre les utilisateurs, pour générer des idées de solutions et pour les concrétiser sous forme de prototypes. Généralement, un ou plusieurs prototypes sont alors développés pour combiner des idées, les affiner, et surtout entraîner des discussions à l’interne et à l’externe avec des utilisateurs pour, par exemple, améliorer le produit fini ou revenir à la table à dessin.
L’intérêt de cette méthode est qu’elle permet de visualiser et de matérialiser les idées pour être capable de bricoler, d’affiner et de collaborer autour d’objets communs. Comme la méthode C-K et le CPS, elle favorise la collaboration multidisciplinaire pour favoriser la créativité et l’expansion des connaissances des acteurs qui deviennent concepteurs. De plus, les phases de prototypage et de test permettant un apprentissage rapide en mode essai-erreur qui promeut l’agilité et rapproche l’organisation des besoins, des attentes et des frustrations des utilisateurs, ce qui rend d’autant plus probable l’apparition de solutions originales et réellement utiles.
La théorie C-K
Le principe de base de la méthode C-K (C : concept – K : Knowledge) est d’explorer à la fois l’univers connu (les connaissances et les acteurs qui les portent) et celui de l’inconnu (les concepts) pour produire simultanément de nouveaux concepts et de nouvelles connaissances. La méthode C-K est utilisée pour identifier de nouvelles pistes d’innovation et de décider des pistes prioritaires sur lesquelles s’engager. Elle permet aussi d’utiliser les nouvelles connaissances apprises durant les explorations pour approfondir des idées et permettre d’explorer de nouvelles avenues.
Exemple d’utilisation de la méthode C-K
- Chez Safran, la méthode C-K a été utilisée pour repenser les moteurs d’hélicoptère pour obtenir de très grands gains de consommations de carburants, très largement supérieurs à toutes les innovations qui avaient été développées jusque-là.
- À l’Institut de recherche d’Hydro-Québec, l’utilisation de C-K a permis de cartographier de nombreuses voies en rupture et de développer une feuille de route technologique ambitieuse dans le domaine de l’énergie.
Équipements matériels
La matérialité prend une place centrale pour favoriser la créativité des équipes et des individus. Les gestionnaires qui souhaitent soutenir la créativité fournissent des artefacts et organisent les lieux de travail pour soutenir les actes créatifs.
L’aménagement des lieux est important pour préparer, influencer et même déclencher les comportements créatifs. En effet, l’aménagement des espaces, la disposition des lieux, et les fonctions attribuées à différents espaces ont le pouvoir d’influencer les interactions et les comportements que les individus et les collectifs vont adopter dedans.
C’est pourquoi l’aménagement d’espaces ouverts et esthétique avec la possibilité aussi de s’isoler en cas de besoin permet aux entreprises de stimuler la collaboration. Il est souvent nécessaire de prévoir des espaces pour la détente et les discussions informelles ainsi que des pièces dédiées à des activités spécifiques (la salle de créativité, la salle de jeux, les salles de meeting, les salles de concentration, voire des salles de repos, etc.).
Les organisations peuvent aller plus loin en aménageant des FabLabs, LivingLabs et autres makerspaces. Ces espaces sont explicitement dédiés à la recherche créative de solutions et à la mise en œuvre de prototypes, ouverts à l’ensemble des collaborateurs et quelquefois aux clients et partenaires. L’idée avec la création de ces espaces est aussi de permettre aux employés de disposer de lieux différents dans lesquels ils peuvent réaliser des activités qui sortent de leurs routines, d’avoir des lieux privilégiés pour collaborer avec des personnes internes et externes, ainsi que de disposer d’espaces dédiés à la conception et à l’expérimentation de solutions nouvelles.
Les objets ont aussi un rôle central pour soutenir, encadrer, stimuler les comportements créatifs des individus et des équipes. Les artefacts, post-it, tableaux blancs et interactifs, matériels de prototypages sont un soutien à la génération d’idées. Par exemple, chez Salomon au département chaussure, les pièces sont remplies de différents objets, avec des étoffes de différentes matières, des chaussures, des prototypes passés, etc. Ces objets servent à alimenter les discussions entre les employés sur de nouvelles idées. Un autre exemple, dans le jeu Trackmania, des kits d’outils utilisateurs ont été déployés pour recueillir, partager et pouvoir visualiser rapidement des idées d’utilisateurs. Les artefacts servent aussi de mémoire pour préserver les idées et connaissances générées dans de précédents projets. Par exemple, chez Créaolic, une entreprise spécialisée dans la conception d’objets nouveaux, les employés mobilisent aléatoirement des boîtes à chaussures où sont rangés des outils et des vestiges de projets passés pour stimuler des souvenirs et des expériences, afin de faciliter la quête de nouvelles idées. Et finalement, les artefacts sont aussi un support pour visualiser les idées et faire des itérations sur les idées et les tester. Ainsi mettre à disposition des outils de simulation et de prototypage rapide (imprimantes 3D, contrôleurs Arduino, outils de découpe de matériaux, etc.) permet de matérialiser les idées et de faciliter l’évaluation initiale et le raffinement des idées par les concepteurs et les utilisateurs finaux.
En conclusion, parmi les différentes dimensions des capacités créatives, l’équipement est celle sur laquelle les gestionnaires des organisations peuvent agir sans doute le plus directement. L’équipement au service de la créativité donne les cadres et les ressources matérielles et cognitives pour permettre aux individus et aux groupes de l’organisation de faire preuve de comportements créatifs. De plus, cette dimension est celle, avec la gestion des idées, qui a le plus d’impact direct sur le développement des capacités créatives et les résultats créatifs.