De l'individuel au collectif : la créativité chez Ultra Vomit

Ultra Vomit est un groupe de metal (nantais) inscrit dans le registre de l’humour qu’on ne présente plus (des tournées aux dates sold out, deux mainstage au Hellfest, un disque d’or, etc.) Depuis leurs débuts en 1999, les membres du groupe ont repoussé les frontières du genre en parodiant avec brio divers styles musicaux, du grindcore au heavy metal, tout en restant fidèles à leur identité. Leur album Panzer Surprise ! (2017) a été un véritable tremplin, les propulsant sur le devant de la scène grâce à des morceaux à l’instar d’Evier Metal ou Kammthaar. Derrière les fûts (de batterie, pas de bière, même si ça pourrait), Manard, batteur aussi talentueux que charismatique, est l’un des moteurs de cette folie créative. Je lui ai donc posé 5 questions sur la créativité du musicien et du groupe, pour nous permettre d’illustrer le rapport entre créativité individuelle et collective.

Comment, en tant que musicien, arrive-t-on à gérer le dilemme renouvellement créatif vs. respect de l’identité artistique ?

Je ne pense pas qu’on soit consciemment dans une optique de « renouvellement » de notre musique. En vrai, on a juste envie de faire des morceaux cool, c’est le plus important. Après, c’est vrai que parfois, on peut chercher à obtenir une couleur un peu plus originale et inédite, comme sur « Ultrüs Crew », mais on reste dans le cadre qu’on aime, à savoir le rock / metal.  

L’important, je pense, c’est plutôt au niveau des diverses influences des membres. Si on écoutait encore exclusivement du grindcore, on referait tout le temps « M. Patate » [leur premier album] et je pense honnêtement que ça serait lassant (même si y’a encore des gens qui nous demandent de le faire !) La vérité est qu’avec l’âge, on écoute de la musique de plus en plus variée et que chaque membre du groupe a ses propres préférences, et du goût. La variété de notre musique nous vient naturellement !

Mais le processus de renouvellement est inconscient, même si ça peut arriver qu’on se dise qu’on a déjà fait ce genre de morceaux (sauf sur le caca, le sujet est inépuisable pour certains dans le groupe…)

Quant au public, il faut avouer qu’on est d’abord dans une démarche très égoïste : on fait la musique qu’on veut entendre nous. C’est super si le public suit, mais en vrai, le plus important pour nous est déjà d’être fiers de ce qu’on fait.

Quelles sont tes techniques d’inspiration ?

Question difficile ! La plupart des idées, c’est quand je prends ma douche, ou alors que je n’arrive pas à dormir !

N’étant qu’un vulgaire batteur, et non un vrai musicien, mes idées sont plutôt des concepts, plus ou moins précis, que je propose aux autres. Je pense qu’on reconnait facilement ma patte, car mes sujets d’inspiration sont souvent les mêmes : le cinéma (surtout d’horreur), la variété française des années 80, ainsi que toute la culture de cette époque. Et bien-sûr le metal, étant un peu le spécialiste du groupe dans ce domaine.

La plupart du temps, je trouve des paroles. Du coup, assez rarement je peux avoir un embryon de musique. Je peux également rebondir sur les idées ou sur la musique des autres. D’ailleurs, c’est le processus global du groupe.

Comment passe-t-on d'une créativité "individuelle" (chacun des membres du groupe a ses idées) à une créativité collective (un ensemble qui émule) ?

Je passe à la question 3, mais en fait c’est la suite de la question 2 ! Tout ce que j’ai dit sur moi, tu peux l’appliquer aux autres, avec la différence qu’étant eux de vrais musiciens, ils arrivent parfois avec un morceau quasiment terminé. Dans ce cas, on dit tout d’abord que c’est nul. Et 6 mois plus tard, finalement, comme on n’a pas de meilleures idées, on se repenche dessus. Nan, je déconne (enfin, en vrai ça peut arriver quelques-fois…)

Fetus [chanteur d’Ultra Vomit, imitateur d’exception] est bien évidemment le principal compositeur du groupe, c’est lui le « génie » qui arrive parfois avec des morceaux quasiment parfaits (exemples : « Ricard Peinard », « Kings of Poop », « Doigts de Metal ») auxquels on ajoute juste des petites choses pour les améliorer, un peu comme pour polir un diamant.

Flockos [guitariste d’Ultra Vomit] prend également une part très importante dans le processus, on lui doit aussi pas mal de pépites quasi-parfaites comme « Ultrüs Crew ». C’est quelqu’un qui est extrêmement talentueux pour mettre en musique des choses. Un riffeur né !

Dans tout ça, notre rôle à Matt [bassiste d’Ultra Vomit] et moi, c’est de proposer des concepts de chansons, ou des paroles.

Parfois, ça créé une petite étincelle dans le cerveau tourmenté de Fetus et il arrive avec une petite pépite. C’est comme ça qu’est né le titre « Tikawahukwa » : j’ai juste proposé une chanson sur le café et il a fait le reste ! Pareil pour « Toxoplasma Gondii » : c’est une idée de Matt qui a germé dans l’esprit de Fetus. Il arrive aussi qu’on valide une musique, mais qu’on bloque sur les paroles. Dans ce cas, le sauvetage peut survenir via quelqu’un d’autre, bien plus tard. C’est arrivé pour « Auto-Thunes » par exemple.

Bref, globalement, on a deux locomotives directrices et les autres s’efforcent de s’en servir !

Que penses-tu de l'IA dans la création musicale ?

Ça va être assez simple : c’est une catastrophe à tous les niveaux pour moi. Je m’explique : l’I.A. va forcément supplanter la plupart des artistes car, soyons honnêtes, la plupart des artistes mainstream ne sont que les pompes à fric des labels. Du coup, quoi de mieux que de pouvoir se passer des vrais artistes pour eux ? Je vois arriver une période avec de l’I.A. bien camouflée pour produire de la merde en masse…

L’effet de bord, en plus du dommage à nos oreilles, c’est que les vrais artistes vont perdre de plus en plus en crédibilité. Un exemple nous concernant : on a eu plein de gens qui ont cru que l’imitation de Johnny [par Fetus, sur La puissance du pouvoir] était une I.A. alors que ça fait plus de 20 ans qu’on fait des imitations comme ça. Du coup, si les gens pensent que c’est une I.A., eh bien ils ne sont plus du tout impressionnés par l’artiste. Tout cela va semer le doute dans n’importe quel domaine.

Je pense qu’on va bientôt revenir à des labels certifiés « humain », et carrément revenir à des enregistrements totalement non-retouchés (parce qu’on parle d’I.A., mais ça fait des années qu’en studio, c’est la fête au bidouillage aussi) car une partie du public voudra retrouver ce truc d’écouter des gens faire des choses de fou EUX-MÊMES.

Après, je ne parle même pas des problèmes juridiques liés à l’I.A. : qui va toucher l’argent des ventes ou des vues : le programmeur de l’algorithme ? Le mec qui a prompté ? Tous les groupes qui ont été pillés par l’I.A. elle-même ? Non, pour moi c’est catégorique, l’I.A. doit être totalement proscrite de tout processus artistique…

Quel est le rôle de l'humour dans la création du flow de batterie ? Est-ce que tu intègres l’humour à ta composition musicale ou est-ce différent et limité aux paroles, à la scéno, etc. ?

C’est assez distinct je dirais. Comme je disais plus haut, on veut avant tout faire de la bonne musique, indépendamment de l’humour des paroles. Du coup, on joue très sérieusement et on compose nos parties comme un morceau « normal ».

Après, dans certains cas, ça peut servir le propos, comme quand je fais exprès de rater un break dans « Anthracte ». Parfois aussi, je peux singer un style ou une partie d’un morceau connu, par exemple dans « Mollo sur le Caca », je refais le break d’entrée de « Basket Case ». C’est pas forcément de l’humour, mais c’est un truc qu’on aime bien faire. Mais en général, je compose mes parties comme un vrai batteur de metal !

Merci à lui pour sa disponibilité, malgré la sortie dans quelques jours de leur nouvel album Ultra Vomit et le Pouvoir de la Puissance et de la tournée qui débute bientôt =)

Interview réalisé par Emilie Ruiz