Les capacités créatives d'une organisation

Toutes les inventions, toutes les innovations ont une origine commune, elles proviennent d’idées. Ces idées sont une association de connaissance ou d’autres idées, un énoncé d’une solution. Quand elles sont créatives, elles sortent des chemins habituels pour donner une autre vision d’un phénomène. C’est ce qu’on appelle la créativité, cette capacité à créer des idées nouvelles, utiles et faisables pour résoudre un problème ou permettre une intention d’action.

Cette dernière décennie, les dirigeants d’entreprises ont pris conscience que la créativité est devenue un défi majeur dans les organisations afin d’apporter des changements profonds pour atteindre leurs objectifs stratégiques (IBM CEO study 2010). La gestion de la créativité est donc devenue une préoccupation pour de nombreuses entreprises. Longtemps considérées comme une capacité liée à un individu, progressivement les recherches sur la créativité se sont depuis les années 90 intéressées aux facteurs contextuels. Ainsi depuis les travaux de Amabile (1988), qui a été la première à traiter des niveaux individuels et collectifs de la créativité dans les organisations, de nombreux travaux se sont développés sur la créativité organisationnelle. Toutefois ces recherches sur la créativité organisationnelle se sont surtout centrées sur la créativité dans les organisations sans finalement bien examiner ce que mettait en place l’organisation pour favoriser la créativité de ses équipes.

Parallèlement au développement de ces recherches se construisait une nouvelle compréhension des capacités stratégiques d’une organisation à travers la notion de capacités organisationnelles, notamment pour mieux expliquer les performances d’une organisation et ses capacités à innover et à s’adapter à des environnements en changement rapide et permanent.

L’approche par les capacités organisationnelles permet alors d’enrichir les recherches sur la créativité organisationnelle, car elles adoptent comme point de départ de l’analyse le niveau organisationnel et stratégique en examinant en particulier les processus et routines qui constituent les bases de l’organisation.

Qu'est ce que une capacité pour une organisation

Ancrer la créativité organisationnelle dans une approche par les ressources, centrée sur les capacités, permet d’adopter un niveau d’analyse à la fois organisationnelle et stratégique, et d’identifier les facteurs, processus et routines qui font de la créativité une véritable capacité organisationnelle susceptible de se maintenir et d’évoluer en fonction des contraintes de l’environnement stratégique.

La capacité organisationnelle décrit une capacité située au niveau de l’organisation, qui exploite de manière efficiente (ou résiliente) ses ressources et compétences pour transformer les facteurs de production entrants en produits et services, et qui lui permet de posséder une position unique sur le marché avec un avantage compétitif. Au niveau organisationnel, une capacité est une combinaison unique de ressources (tangibles ou intangibles), de routines et de processus pour transformer les facteurs de production entrants en produits et services intermédiaires ou finaux. Elles peuvent prendre la forme de capacités à développer des produits fiables, des innovations répétées ou encore à développer des nouveaux produits de manière extrêmement rapide.

Qu’est-ce qu’une capacité créative d’une organisation ?

Si on applique ce concept à la créativité organisationnelle, une capacité créative organisationnelle serait pour une organisation l’aptitude à générer et sélectionner de nouvelles idées pour trouver des solutions à des problèmes ou saisir des opportunités. Ce qui caractérise une capacité c’est qu’elle est pérenne, mobilisable quand l’organisation en a besoin. Bien sûr ce n’est pas l’organisation qui génère les idées mais bien des individus mais se pose alors la question de ce que met en place l’organisation les individus génèrent ces idées de valeur quand elle en a besoin. La question qu’on s’est posée : est-ce qu’une telle capacité existe et de quoi pourrait-elle être constituée ?

En fait cette capacité existe dans les industries créatives car la créativité est un élément stratégique pour leur activité. Ces industries doivent produire régulièrement des nouveaux jeux, films, et romans pour attirer les joueurs, spectateurs et lecteurs. On a donc fait l’hypothèse que les entreprises de ces industries mettaient bien en place des dispositifs et processus au niveau global de l’organisation pour développer et entretenir cette capacité à générer de nouvelles idées pour obtenir au final des produits et services créatifs.

On a donc fait des études de cas, dans un premier temps dans le jeu vidéo, et on a bien identifié des éléments organisationnels comme la gestion des idées, l’aménagement des espaces de travail, le regroupement par métier ou projet, l’utilisation de méthode agile pour gérer les projets, l’ouverture du processus de conception. Ces résultats étaient intéressants mais uniquement valables pour le jeu vidéo, on risquait donc d’avoir des dispositifs différents selon les industries, et donc d’être dans l’impossibilité de trouver globalement ce qui permet de développer ce type de capacité.

En fait, il existe une autre approche des capacités créatives qui consiste à concevoir cette capacité comme étant le résultat de routines organisationnelles, c’est-à-dire de comportements collectifs récurrents qui permettent d’arriver à un résultat visé. Dans ce cas-là on s’intéresse aux pratiques de travail et aux comportements des individus et des équipes. Pour faire cela, on a réalisé une revue de littérature appondie sur 21 revues majeures en sciences de gestion et psychologie, ce qui nous a permis d’identifier 6 groupes de routines : d’équipements créatifs, de gestion des idées, de socialisation des idées, d’ouverture, d’agilité et de marge de manœuvre. On a abandonné la dimension de marge de manœuvre car finalement elle ressortait très peu dans les pratiques réelles des managers.

Pour résumer, on pense qu’une capacité créative est constituée de pratiques et comportements récurrents favorables à la génération d’idées nouvelles de valeurs, et que ces routines existent parce que l’organisation a mis en place des processus et dispositifs organisationnels qui favorisent ces pratiques et comportements.

Pour compléter notre modèle, on a aussi mobilisé le concept de climat organisationnel qui est l’ensemble des attitudes et ressentis des individus dans une organisation. Dans les années 90, les chercheurs Teresa Amabile et Goran Ekvall ont chacun de leur côté identifié les composants d’un climat organisationnel favorable à la créativité. Un bon climat créatif est indispensable pour que les capacités créatives soient pleinement opérationnelles. Par exemple, si vous mettez en place un super système de gestion des idées mais que le climat créatif de votre organisation est mauvais, ce système sera peu utilisé.

Ce modèle a été vérifié auprès de plus de 1000 entreprises et nous avons construit une échelle de mesure des capacités créatives (Parmentier, Sheet, Jeannot et Rampa 2024)

Le modèle des capacités créatives des organisations

Modèle des capacités créatives des organisations

Références

  • IBM 2010 Global CEO Study: Creativity Selected as Most Crucial Factor for Future Success
  • Amabile T.M., Conti R., Coon H., Lazenby J., Herron M. (1996). « Assessing the work environment for creativity », Academy of Management Journal, 39, n° 5, p. 1154‑1184.
  • Ekvall G. (1996). « Organizational Climate for Creativity and Innovation », European Journal of Work & Organizational Psychology, 5, n° 1, p. 105.
  • Parmentier G., Sheet Z., Jeannot F. and Rampa R. (2024). « Development of a multidimensional scale to measure organizational creative capabilities», Journal of Product Innovation Management (on line)